https://doi.org/10.25312/2391-5137.15/2021_21sm


Sara Moroz https://orcid.org/0000-0002-5424-4970 Uniwersytet w Białymstoku

e-mail: sara.moroz@uwb.edu.pl


Les germanismes dans le manuscrit Gall. Fol. 220 conservé dans la collection berlinoise à la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie


Résumé

Le manuscrit Gall. Fol. 220 est un recueil de recettes de cuisine, conservé dans la collection berlinoise à la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie. C’est un livre anonyme, qui provient du XVIe siècle, écrit en français. Nous y trouvons beaucoup de plats et de produits déjà populaires au Moyen Âge, mais on peut aussi apercevoir des recettes pour les plats caractéristiques de la Renaissance. Après avoir analysé la terminologie culinaire présente dans ce recueil, on peut constater qu’on y trouve quelques termes germaniques. Dans cet article, nous voulons présenter les termes culinaires qui sont de provenance germanique et expliquer pourquoi ces types de mots se trouvent dans ce type de texte usuel, et, ainsi, dans la langue française.


Mots-clés: manuscrit, XVIe siècle, collection berlinoise, terminologie culinaire, cuisine française


Nous savons très bien que les langues s’influencent les unes les autres. C’est un excellent exemple de l’enrichissement lexical qui peut avoir lieu dans chaque langue du monde. Au début, on ne peut pas être d’accord avec Louis Deroy qui nous apprend que «l’emprunt est un intrus» (Deroy, 1956, p. 215).

Dans cet article, nous voulons nous concentrer sur la langue française présente dans un manuscrit qui est un recueil de recettes. Il porte la signature Gall. Fol. 220 et est conservé à la Bibliothèque Jagellonne, à Cracovie. Ce manuscrit contient beaucoup de mots ger- maniques pour des raisons que nous expliquerons ci-dessous.

Il faut souligner ici que généralement dans les textes de livre de cuisine, l’emprunt est parfois nécessaire et même indispensable. Il fournit non seulement le nom du plat dans le titre d’une recette ou bien le nom d’un ingrédient inconnu, mais aussi le bagage linguistique ainsi que le bagage culturel d’un mot, soit un certain savoir-faire. C’est pourquoi, dans ce texte, nous avons pour but de présenter les germanismes du manuscrit Gall. Fol. 220 qui concernent le sujet culinaire et expliquer pourquoi ils se trouvent dans ce recueil en français. Notre analyse portera sur les aspects linguistiques, mais aussi culturels. Pour atteindre notre objectif, premiè- rement nous ferons connaître le manuscrit Gall. Fol. 220 et, deuxièmement, nous analyserons les termes germaniques qu’il contient. Il est nécessaire d’ajouter ici que cet article est basé (et mis à jour) sur la thèse de doctorat de l’auteure, qui a été publiée en 2018 (Moroz, 2018). Tout d’abord, il faut présenter le manuscrit Gall. Fol. 220 qui nous fournit un riche corpus lexical de germanismes. Le recueil de recettes intitulé Recueil de recettes pour la cuisine et la pâtisserie est actuellement conservé dans la collection berlinoise à la Biblio- thèque Jagellonne de Cracovie. C’est un livre peu connu, édité récemment par Sara Moroz (2018). Avant elle, le manuscrit a été examiné par un groupe de chercheurs Fibula, qui ont analysé les manuscrits romans conservés dans la collection berlinoise, sous la direction de M. Piotr Tylus qui a aussi élaboré la notice concernant le manuscrit étudié. On peut la consulter sur Internet, sur le site de la Fibula (http://info.filg.uj.edu.pl/fibula/pl/content/ gall-fol-220). Toutes les données concernant l’aspect codicologique proviennent de cette

notice et de son livre (Tylus, 2010, pp. 95–98).

En résumé, Gall. Fol. 220 contient 59 feuillets et, d’après les filigranes identifiés par

P. Tylus, il date du seizième siècle. C’est un texte anonyme dont on ne connaît ni le nom du copiste ni du propriétaire. Il est linguistiquement homogène, écrit entièrement en français avec quelques termes flamands francisés et une note en néerlandais. Au vu des picardismes, il a été composé dans le nord de la France, dans la Flandre française ou bien dans la Flandre flamande, par une personne qui connaissait le français. Trois mains ont écrit le manuscrit en question. La première main a préparé la majorité du texte (fol. 5r–44r). La deuxième est entrée au cours d’une recette et a écrit encore quelques pages (fol. 44r–55v). Et la troisième a seulement composé le supplément de l’index alphabétique avec les ren- vois aux folios (fol. 56r–58v). Elle foliote également le recueil en chiffres romains. C’est probablement la main d’une femme qui utilisait ce livre pour préparer les plats soit dans la maison où elle travaillait, soit chez elle. Grâce à la foliotation, on peut apercevoir qu’il nous manque les folios au début du texte, car la foliotation commence au chiffre III. Ce recueil est aujourd’hui en mauvais état, avec plusieurs traces d’humidité et taches d’encre. De plus, par endroits son écriture n’est pas bien lisible.


Gall. Fol. 220, fol. 44r Pour accoustrer du brochet qui a jus, Pour accoustrer un brochet en lard, pour faire un pasté de brochet, Pour faire un pasté de stocqvis, Biblioteka Jagiellońska w Krakowie


Concernant l’histoire de ce recueil, on peut y trouver quelques indices. Au début, le manuscrit se trouvait probablement en France, car on peut voir deux pièces en maroquin au dos avec les inscriptions: Recettes et Manuscr. Au folio 41v, nous voyons une note en néerlandais, exécutée au dix-septième ou au dix-huitième siècle (Tylus, 2010, p. 96), donc on peut supposer que le recueil se trouvait aux Pays-Bas à cette époque-là. En-

suite, le manuscrit était présent dans la collection de Georg Freund (1836 ?–1914 ? – cf. https://provenienz.gbv.de/Georg_August_Freund), bibliophile allemand, dont l’ex-libris est visible sur la garde collée initialement. Freund s’intéressait probablement à l’art culinaire, c’est pourquoi il possédait aussi d’autres livres de cuisine (dont cinq sont aujourd’hui conservés dans la Bibliothèque Jagellonne). Pourtant, l’histoire de tous ces livres n’est pas la même (Tylus, 2009, pp. 43–52). Finalement, le manuscrit Gall. Fol. 220 a figuré au registre des acquisitions de la Bibliothèque Royale de Berlin depuis le 8 février 1916.

Du point de vue culinaire, le recueil en question est un exemple intéressant. Ce livre nous fournit les recettes diverses p. ex. pour les pâtisseries (tartes, tourtes, gâteaux, confi- tures, massepain, gaufres), pour les viandes (toutes sortes de volaille, veau, bœuf, agneau), pour les poissons et les fruits de mer (carpe, esturgeon, moules, huîtres), pour les légumes (chou, laitue, épinard, navet). Tous ces ingrédients nous indiquent que nous avons affaire à la cuisine aristocratique des gens aisés qui suivent les modes culinaires et introduisent les nouveautés dans leur cuisine. Ils utilisent du sucre qui, à la Renaissance, devient une nouvelle marque de distinction sociale (Birlouez, 2011, p. 55). Ils mangent aussi des oiseaux chassables (p. ex. perdrix, bécasse) toujours destinés aux nobles (Birlouez, 2011, p. 33). Ils sont aussi catholiques, et non pas huguenots, car ils consomment du poisson pendant les jours maigres. Même s’ils viennent du nord (beaucoup de picardismes dans le texte en témoignent), ils s’intéressent à la cuisine internationale, surtout du sud (recettes pour raviolis, moutarde de Venise, saucisse de Bologne). Il faut souligner ici que la cuisine présente dans le manuscrit Gall. Fol. 220 est une cuisine de transition, c’est-à-dire, d’un côté, elle est enracinée dans l’art culinaire médiéval (p. ex. liaison du salé et du sucré, plats très épicés) et de l’autre côté, elle introduit de nouveaux produits à la mode (sucre, beurre, massepain, abats).

Passons maintenant aux aspects linguistiques. En somme, dans le manuscrit Gall.

Fol. 220 on compte 392 termes et expressions culinaires. On les a divisés en sept ca- tégories: fruits avec leurs parties et légumes; noms de préparations diverses; viandes avec parties d’animaux, poissons et fruits de mer; produits divers; ustensiles; mesures et quantités; verbes. Parmi ces mots, nous avons distingué 42 germanismes: craecquebesse, grouseille, tuyau, brouet, flan, gateau, gauffre, gauffrette, hattelle, hussepot, louche, souppe, spritsen, struyven, tettin, cabilleau, esclefin, estorgeon, helst, leschune, pricque, schevis, stocqvis, gist, overgerste, rostie, escumoir, esperon, estampoir, lot, pottefin, adouber, bouter, escumer, espautrer, estamper, estricher, garder, glisser, haischer, hocher, rostir. Comme nous le voyons bien, dans notre recueil, la majorité des germanismes sont trouvés dans la catégorie des noms de préparations diverses (11): brouet, flan, gateau, gauffre, gauffrette, hattelle, hussepot, louche, souppe, spritsen, struyven et dans les verbes

(11): adouber, bouter, escumer, espautrer, estamper, estricher, garder, glisser, haischer, hocher, rostir. Beaucoup de noms de poisson ont également été empruntés (8): cabilleau, esclefin, estorgeon, helst, leschune, pricque, schevis, stocqvis.

Dans ce travail, nous laissons les termes déjà connus et bien étudiés et nous allons analyser en détail seulement les exemples inconnus selon trois points de vue: graphie non-attestée, sens non-attesté, ou bien mot non-attesté.

Passons, donc, à l’analyse1.

  1. Tout d’abord, commençons par les termes dont la graphie n’est attestée dans aucun dictionnaire français.

    Craecquebesse – emprunt assimilé à la graphie française du terme flamand krakebeze, krakebaze, krakebeize, krakkebaze «myrtille» (Paque, 1896, pp. 215–216) ou «fram- boise» (Mellema, 1602, p. 757). Le terme n’est relevé dans aucun dictionnaire français. En parlant de la myrtille, il s’agit ici d’un genre de cette plante: Vaccinium myrtillus soit Vaccinium vitis-idaea. Le substantif craecquebesse est utilisé seulement une fois dans le recueil, dans le titre d’une recette «Pour faire une tarte de cousine, ce qu’ils appellent de craecquebesse» (fol. 45r) et il est évident que ce fruit sert à préparer une tarte.

    Estorgeon, estorgon – terme venu de l’ancien bas francique *sturjo «esturgeon» (TLFi). Dans la langue française, il a été attesté pour la première fois en 1059, sous la forme sturgeon (TLFi). On note aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: sturgun, esturgon, atorjon, estourjon, estorjoun, estrugeon, estrurgon, estorjon, sturgon, stugion, slurjon (GD IX, 569). Les deux graphies présentes dans le recueil ne sont pas relevées dans les dictionnaires. Dans le recueil, la graphie estorgeon est utilisée trois fois et sa graphie concurrente estorgon une fois. Ce type de poisson est mentionné dans deux recettes, p. ex. dans le titre d’une d’elles: «Pour mettre un estorgeon en adoube» (fol. 12r).

    Gist, ghis – emprunt direct qui vient du moyen néerlandais gest «levure» (FEW XVI, 34) et était utilisé dans le nord de la France (aujourd’hui gist en néerlandais). Ce substantif masculin désigne la «levure de bière» (M). Le terme a été attesté pour la première fois en 1360, dans ce sens (FEW XVI, 34). On trouve aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: giet, giest, ghist (GD IV, 277). La graphie ghis n’est pas relevée dans les dic- tionnaires. Dans le recueil en question, la graphie gist est utilisée deux fois et sa graphie concurrente une fois. On trouve ce terme dans la préparation d’un gâteau, du ratton (sorte de pâtisserie – cf. Moroz, 2018, p. 117) et des gaufres. Voici un exemple de l’emploi de ce substantif, dans la recette pour le gâteau: «Prenez un demi-quartier ou davantage de fleurs de froment et douze œufs ou plus et autant de beurre que bon vous semblera un peu de gist et le pétrir ainsi ensemble» (fol. 6v).

    Glisser, grisser – verbe qui vient du croisement de l’ancien français gliier «glisser», issu de l’ancien bas francique *glī dan «glisser», et de l’ancien français glacier, issu de glacer au sens de «glisser», du latin glaciāre «changer en glace; glacer d’effroi; durcir, solidifier» (TLFi). Il a été attesté pour la première fois à la fin du douzième siècle, dans le sens de «se déplacer d’un mouvement continu, volontaire ou non, sur une surface lisse ou le long d’un autre corps, par une impulsion donnée» et, en 1320, dans le sens de «pousser quelqu’un ou quelque chose» (TLFi). On trouve aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: glicier, glichier, glicer, glincer, glischier (GD IX, 702). La graphie présente dans


    1 Pour faciliter notre travail, nous allons nous servir des sigles pour chaque dictionnaire utilisé: TLFi = Trésor de la langue Française informatisé; FEW = Walther von Wartburg, Französisches etymo- logisches Wörterbuch: eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes; GD = Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle par Frédéric Godefroy; M = Dictionnaire du Moyen Français.

    le recueil, grisser, n’est pas relevée dans les dictionnaires. Pourtant, il faut noter ici que ce type de rhotacisme apparaît plutôt dans les langues romanes dans le Sud (occitan, portugais, roumain) qu’en picard. Dans le recueil, chacune des graphies est utilisée une fois. Ce terme concerne toujours les tourtes: «Et ce à raison que si on y mettait beaucoup de sucre, la tourte ne voudrait grisser hors de la tourtière» (fol. 22v).

    Haischer, houscher – verbe qui vient, par fausse régression, du verbe dehachier «dé- couper», dérivé à l’aide du préfixe de-, du substantif hache, issu de l’ancien haut allemand happja provenant du domaine francique happia, happa, heppa «hache de bûcheron» (TLFi). Il a été attesté pour la première fois en 1225 (TLFi). On en note aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: hachier, hagier, hacher, hecquier (GD IX, 741). Les deux graphies du recueil ne sont pas relevées dans les dictionnaires. Dans le recueil, la graphie haischer apparaît souvent, quarante-trois fois, et sa graphie concurrente houscher, une fois. Voici un exemple de l’emploi de ce verbe dans la recette pour les tripes: «Prenez de la chair de porc et la haischer bien menue» (fol. 9r). Le verbe en question concerne le plus souvent la viande, ou bien les herbes qu’il faut couper.

    Hattelle – emprunt au latin hasta «poteau, bâton, broche pour les cheveux» avec l’in- fluence phonétique et sémantique de l’ancien bas francique *harst «gril» (TLFi). C’est un substantif féminin dont la graphie n’est pas relevée dans les dictionnaires. Le terme est un diminutif de hâte désignant une «petite broche à rôtir» et, par métonymie, un «morceau de viande à rôtir» (TLFi). La première attestation du substantif hâte date d’entre 1175 et 1180, dans le sens de «broche à rôtir» (TLFi). On trouve aussi une autre graphie dans l’ancienne langue: aste (GD IV, 432). Dans le FEW, on trouve le terme hâtelle, mais utilisé dans le sens «grande aiguille» (GD IV, 390). Dans le recueil en question, le substantif hattelle n’est utilisé qu’une fois. Il est employé dans le titre d’une recette: «Pour faire de hattelles» (fol. 39r). C’est un plat à base de viande de veau hachée avec de la graisse et des herbes, puis rôtie à la broche.

    Hussepot – graphie qui n’est pas relevée dans les dictionnaires du substantif hochepot, composée de la forme verbale hoche, du verbe hocher, et de pot. Le verbe hocher est emprunté à l’ancien bas francique *hottisôn «secouer», dérivé en -isôn de *hotton «faire balancer, branler» (TLFi). C’est un substantif masculin désignant «ragoût de bœuf, d’oie, de canard, de navets, de marrons, cuit sans eau» (M), ou bien «plat régional (Flandres), composé de viandes et de légumes divers cuits à l’étouffée» (TLFi). Dans le manuscrit, nous avons affaire au deuxième sens. Le mot a été attesté pour la première fois en 1220, sous la forme hochepot. On note également d’autres graphies dans l’ancienne langue: hoichepoult, hossepots, hospots, hocepos (GD IX, 761). Dans le recueil, on trouve le terme hussepot six fois, p. ex. dans le titre d’une recette «Pour faire une hussepot à l’espagnole» (fol. 26v). Il y a deux façons de préparer ce plat: au mouton (qu’il faut mettre à l’étouffée avec de l’oignon, du vin, du sucre et de la noix de muscade, à la façon espagnole) pour les jours gras et aussi au poisson (plus précisément, au cabillaud avec du beurre, de l’huile, de l’origan et du gingembre) pour les jours maigres.

    Pottefin – emprunt direct qui vient du moyen néerlandais potkijn (FEW XVI, 649). Ce substantif masculin désigne un «petit pot» (FEW XVI, 649). Ce terme a été attesté pour la première fois en 1467 (FEW XVI, 649). On note aussi d’autres graphies dans l’ancienne

    langue: pottequin, potequin, potkin, poetkin, potdequin, potlequin (GD VI, 340). On sait également que ce mot a encore été en usage au dix-huitième siècle, dans les textes provenant du Nord (GD VI, 340). La graphie présente dans notre recueil n’est pas relevée dans les dictionnaires. Dans le manuscrit, le terme est utilisé quatre fois, dans les recettes pour diffé- rentes tourtes et pour les gaufres. Cet ustensile est nécessaire pour prendre des liquides: eau, crème ou lait, p. ex. «Prenez un quarteron de fleur de lis avec un pottefin de lait» (fol. 24v).

  2. Maintenant, passons aux mots au sens non attesté dans aucun dictionnaire français. Esperon – substantif masculin emprunté directement à l’ancien bas francique *sporo (TLFi), qui s’applique avec le sens d’une «pointe de métal adaptée au talon avec laquelle le cavalier pique sa monture pour la faire avancer» (M). Pourtant, dans notre recueil, il s’agit plutôt d’une sorte de couteau, utilisé pour trancher la pâte, mais ce sens n’est pas relevé dans les dictionnaires. Le terme a été attesté pour la première fois en 1100 (TLFi). On note aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: espurun, speron, sporonc, es- pourons, esperuns, esperouns, esporons (GD IX, 542). Dans le recueil, le terme esperon est utilisé une fois, dans la recette pour la soupe à l’anglaise. Comme nous avons déjà dit, cet outil sert à trancher la pâte: «Prenez de la fleur de froment la plus blanche que pourrez trouver, un œuf, du beurre et vin, faites un peu de paste. Puis la roulez avec un rolloir bien fort et ayez un petit esperon propre à trencher paste. Et faites de ladite paste

    de petites pièces, aussi grandes qu’une petite carte» (fol. 32v).

    Louche – substantif du dialecte normand-picard louce/loce, qui vient de l’ancien bas francique *lôtja «grande cuillère» (TLFi). Il désigne en général un «ustensile de cuisine et de table à cuilleron demi-sphérique et à long manche utilisé en particulier pour servir le potage», ou bien le «contenu d’une louche», ou une «main» (TLFi). Pourtant, en pre- nant en compte le contexte du recueil: «Vous pourrez aussi de cette pâte faire de bonnes et belles louchez, si vous voulez» (fol. 7r), ce terme nomme une «pâtisserie en forme de louche», néanmoins ce sens n’est pas relevé dans les dictionnaires. Le terme en question a été attesté pour la première fois au XIIIe siècle, dans le sens de «grande cuillère». On trouve aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: louce, lousse, locque (GD V, 38). Dans le recueil, le terme louche, utilisé dans le sens de «pâtisserie», est employé deux fois. Les louches sont préparées à l’aide de la pâte sous forme plate, qu’il est nécessaire de laisser lever, puis cuire et, ensuite, beurrer. De plus, dans ce recueil, on trouve aussi le terme louche utilisé dans le sens d’ «ustensile de cuisine et de table».

    Tuyau, tuyaulx2, tuyeau – dérivé, à l’aide du suffixe -eau, d’un mot non attesté, provenant de l’ancien bas francique *thūta «tuyau» (TLFi). C’est un substantif masculin désignant la «tige d’une plante» (M), mais, si l’on prend en compte le contexte du recueil:

    «Prenez des pommes douces autant que bon vous semblera et les pellés et leur ostez bien dedans qu’on appelle les tuyaulx» (fol. 30v): il s’agit d’un endocarpe. Pour la première fois, ce terme a été attesté à la fin du XIe siècle, dans le sens de la « tige creuse du blé et de certaines plantes » (TLFi). On trouve aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue: tuiel, tuyel, tuel, tuial, tueaul, tuez, tuau, tuhaulx, tuaulx (GD X, 818; M). Concernant la fréquence, dans notre recueil, la graphie tuyau est utilisée trois fois, sa graphie concurrente


    2 Je note aussi les graphies concurrentes présentes dans le manuscrit Gall. Fol. 220.

    tuyaulx au pluriel, une fois, et la forme tuyeau également une fois. Le terme en question apparaît dans les recettes pour la tourte de crème, la tourte de pommes et de coings, la tarte aux pommes et aussi pour confire de coings. Il concerne toujours les fruits: «Et après en oster la pelure et le tuyau, faisant un trou par dessous poire» (fol. 5r).

  3. Et puis, on peut passer aux mots d’origine germanique empruntés en tant que tels et qui ne sont pas attestés dans les dictionnaires français.

Helst – substantif masculin, terme qui n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Dans le recueil, il se trouve seulement dans le titre d’une recette: «Pour accoustrer ou plutôt bien assaulcer un helst rosty» (fol. 43r). En prenant en compte le contexte, l’auteur parle d’une sorte de poisson: «Vous prendrez des pommes d’oreage et les laisserez trem- per un jour ou deux en eau. Puis les passez parmi une estamine avec du vin. Et y mettez du sucre et de la cannelle à discrétion et laissez le tout un peu bouillir. Et puis versez sur votre poisson» (fol. 43r). Le mot vient probablement du flamand. La forme de ce terme ressemble au néerlandais elft «grande alose», poisson marin, de la famille des harengs.

Leschune – substantif féminin qui n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Il désigne une sorte de poisson sec, d’après le contexte dans le titre de la recette: «Comment l’on doit user de ladite leschune ou tremper le poisson sec» (fol. 44v). Probablement, il s’agit du diminutif de la loche qui est un terme bien large pour désigner les poissons d’eau douce et marins, ou bien le nom vient de l’allemand Lachs «saumon». Dans le manuscrit le mot est utilisé deux fois dans cette recette. Le poisson doit être lavé et trempé quatre jours dans l’eau: «Après l’avoir lavé bien net, le mettant à cuire et y jetant dessus de ladite leschune. Et le laissé aussi tremper l’espace de quatre jours, mais chaque fois de l’eau claire» (fol. 44v). Overgerste – substantif venant du néerlandais gerst «orge» et over «sur». Il désigne la

«levure de bière», ou bien, si l’on parle de l’orge, le «levain panaire» et est utilisé pour ghis, en prenant en compte le contexte: «Et y mettre une cuillère de ghis appelé overgerste» (fol. 49r). Le terme en question est employé seulement une fois, dans la recette pour les gaufres.

Pricque – emprunt assimilé qui vient du néerlandais prik «lamproie» et qui n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Dans le recueil, ce substantif féminin est utilisé deux fois, par exemple: «Prenez vostre lamproie ou pricque et ostez toute l’ordure avec un drap» (fol. 43r). Comme nous voyons, l’auteur du recueil y note deux formes de ce mot en deux langues et, ainsi, il nous donne les traces de sa provenance.

Schelvis – emprunt direct de la forme néerlandaise schelvis «églefin, aiglefin». Ce substantif masculin n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Dans le recueil, le mot est utilisé une fois, dans le titre de la recette: «Pour rostir un schelvis ou esclefin» (fol. 41v). Encore une fois, l’auteur du recueil y présente deux formes d’un mot en deux langues. Spritsen – substantif au pluriel du terme néerlandais sprits, qui provient peut-être du verbe allemand spritzen ‘injecter’. Cet emprunt assimilé désigne une sorte de petits gâteaux néerlandais faits avec du beurre, de la farine de gruau et du sucre (d’habitude, la pâte est injectée à l’aide d’une poche à douilles). Le terme n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Dans le recueil, ce substantif est trouvé une fois seulement dans le titre d’une recette: «Pour faire spritsen» (fol. 49v). L’auteur propose de préparer ces gâteaux à base de lait, de farine et d’œufs. Après, il faut estamper ou pétrir la pâte et la faire cuire. Ainsi

il est clairement visible qu’il s’agit d’une variation de cette recette.

Struyven – emprunt au néerlandais struif «omelette» dont le pluriel est struiven. Le terme n’est pas relevé dans les dictionnaires français. Le substantif est utilisé deux fois dans le recueil, dans les titres de deux recettes: «Pour faire struyven» (fol. 49v); «Pour faire struyven de ris» (fol. 49v). Dans le premier cas, il s’agit d’une préparation à base de farine, d’œufs et d’eau. Après, il faut les «frire sur le feu avec du beurre en une payelle à faire vautes, le faisant couvrir tout à l’entour de la payelle» (fol. 49v). Dans le deuxième cas, c’est une préparation avec du riz bouilli, du lait, des œufs, du beurre et de la farine. Puis, il faut la cuire dans la poêle.

En guise de conclusion, il faut souligner ici que le recueil Gall. Fol. 220 nous fournit un assez grand nombre de germanismes (environ 10% des mots culinaires sont empruntés aux langues germaniques). Nous avons affaire aux emprunts assimilés orthographiquement (par exemple craecquebesse); aux emprunts directs (p. ex. estorgeon) et aux emprunts indirects (p. ex. haischer). On trouve également les termes dont la provenance germanique n’est pas sûre, mais reste bien probable (p. ex. leschune, helst).

C’est évident que, dans les livres culinaires, les noms des plats sont empruntés et non pas traduits. Il y a des mets qui sont strictement liés à une culture donnée et leurs noms apportent non seulement une signification concrète, mais aussi un contexte culturel (p. ex. pizza – mot compris dans presque chaque langue du monde). Cette situation est visible également dans notre recueil où les noms des préparations telles que spritsen, struyven sont trouvés. L’auteur du manuscrit ne veut pas les traduire, car ces pâtisseries sont vraiment liées à la région où elles sont produites et consommées. En plus, on a vu dans le Gall. Fol. 220 qu’on a emprunté au néerlandais beaucoup de noms de poissons. Cela ne doit pas nous surprendre, car, à cette époque-là, les Pays-Bas étaient l’une des puissances ma- ritimes qui avaient développé la pêche commerciale. On sait que, du XVe au XVIIe siècle, celle-ci constituait une des principales ressources économiques des Pays-Bas. Ainsi, c’est normal que beaucoup de termes concernant la mer (et les poissons évidemment) viennent du néerlandais (cabillaud, schelvis) (Grevisse, Goosse, 1986, p. 212).

De plus, notre livre de cuisine est exceptionnel, car, dans la terminologie culinaire qui y est présente, nous trouvons des unités lexicales germaniques qui ne fonctionnent pas dans le système lexical français. On doit cette situation à notre auteur qui est originaire de Flandre et connaît les deux langues et les deux cultures. Ce qui est aussi intéressant dans le contexte de notre recueil, c’est le fait que son auteur juxtapose souvent deux mots (français et flamand / néerlandais) pour désigner le même produit (p. ex. «Pour faire une tarte de cousine, ce qu’ils appellent de craecquebesse», «Et y mectés une cuillière de ghis appelé overgerste»). S’il est bilingue, il comprend les deux équivalents. Mais pourquoi les utilise-t-il ensemble ? Peut-être n’est-il pas sûr du terme français et il veut être plus clair pour le lecteur.

En outre, il faut dire ici que, dans ce manuscrit, on trouve aussi des graphies des em- prunts aux langues germaniques qui ne sont pas notées dans les dictionnaires français (hussepot, grisser).

Il est très intéressant qu’aujourd’hui, au vingt et unième siècle, nous puissions toujours élargir le corpus des mots du seizième siècle, en analysant le manuscrit peu connu.

Bibliographie

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Sitographie

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Streszczenie

Germanizmy w rękopisie Gal. Fol. 220 przechowywanym w kolekcji berlińskiej w Bibliotece Jagiellońskiej w Krakowie”

Rękopis Gall. Fol. 220 jest zbiorem przepisów kulinarnych, przechowywanym obecnie w kolekcji berlińskiej w Bibliotece Jagiellońskiej w Krakowie. Jest to anonimowa księga pochodząca z szesnastego wieku, napisana w języku francuskim. Znajdujemy w niej przepisy na wiele dań popularnych już w Średniowieczu, jednak możemy również zauważyć dania charakterystyczne dla epoki Renesansu. Po analizie terminologii kulinarnej obecnej w manuskrypcie należy zwrócić uwagę na obecność germanizmów. W niniejszym artykule zamierzamy przedstawić terminy kucharskie pochodzenia germańskiego i wyjaśnić, dlaczego słowa pojawiają się w tego typu zbiorze, mającym charakter książki użytkowej.


Słowa kluczowe: rękopisy, XVI wiek, kolekcja berlińska, terminologia kulinarna, kuchnia francuska

Abstract

Germanisms in the manuscript Gall. Fol. 220 preserved in the Berlin collection at the Jagiellonian Library of Cracow

The manuscript Gall. Fol. 220 is a collection of recipes, preserved in the Berlin collection at the Jagiellonian Library in Krakow. It is an anonymous book, which comes from the sixteenth century, written in French. It contains many dishes and products popular already in the Middle Ages, but also the recipes for dishes typical of the Renaissance. After analyzing the culinary terminology present in this collection, we can see that there are some Germanic terms. In this article, we intend to present the cooking terms that are of Germanic origin and explain why the words appear in this type of collection, which has the character of a reference book in the French language.


Keywords: manuscripts, XVI centaury, Berlin collection, culinary terminology, French cuisine