https://doi.org/10.25312/j.9072
Sara Moroz https://orcid.org/0000-0002-5424-4970 University of Bialystok, Poland sara.moroz@uwb.edu.pl
Linguistic and cultural analysis of the names of desserts present in the unpublished manuscript Gall. Quart. 146 (Jagiellonian Library, Krakow)
Le présent article porte sur les noms de desserts présents dans le manuscrit Gall. Quart. 146 issu de la collection berlinoise, conservé à la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie. Le recueil de recettes de cuisine reste inédit et n’est pas connu du grand public. Le livre date du XVIIIe siècle, mais il a été complété pendant des années jusqu’au milieu du XIXe siècle. On y compte dix-neuf noms de desserts. Nous allons les analyser du point de vue linguistique, en nous concentrant sur leur étymologie, et du point de vue culturel, en montrant les différentes significations des termes qui évoluaient au cours des siècles. Grâce à ces différences, les recettes peuvent différer les unes des autres. Nous visons à trouver des racines des noms de desserts dans la langue française du XVIIIe siècle et également des emprunts pour pouvoir analyser leur provenance et, ainsi la provenance des desserts eux-mêmes. Pour atteindre notre but, nous allons appliquer des méthodes classiques : historico-comparative et philologique.
Mots clés : noms de desserts, lexique culinaire, cuisine française, collection berlinoise, manuscrit
This article deals with the names of desserts in the manuscript Gall. Quart. 146 from the Berlin collection, kept at the Jagiellonian Library in Krakow. The collection of cooking recipes remains unpublished and is not known to the general public. The book dates from the 18th century, but it was completed over the years until the middle of the 19th century. It contains nineteen names of desserts. We will analyze them from a linguistic point of view, focusing on their etymology, and from a cultural point of view, showing the different meanings of the terms that evolved over the centuries. Thanks to these differences, the recipes can differ from each other. We aim to find roots of the names of desserts in the French language of the 18th century and also borrowings in order to analyze their origin and, thus, the origin of the desserts themselves. To achieve our goal, we will apply classical methods: historical-comparative and philological.
Keywords: names of desserts, culinary lexicon, French cuisine, Berlin collection, manuscript
Le service se composant du dessert accompagne l’homme depuis l’Antiquité. Aujourd’hui il est souvent le moment le plus agréable, le plus convivial du repas, très attendu par les plus petits. Pour le but de cet article nous voudrions analyser les noms de desserts apparus dans le manuscrit Gall. Quart. 146. Nous allons les analyser du point de vue linguistique, en nous concentrant sur leur étymologie, et du point de vue culturel, en montrant les différentes significations des termes qui ont évolué au cours des siècles. Grâce à ces dif- férences, on peut apercevoir si les recettes diffèrent les unes des autres. Nous cherchons à trouver des racines des noms de desserts dans la langue française du XVIIIe siècle et également à mettre en avant des emprunts pour pouvoir analyser leur provenance et, ainsi la provenance des desserts eux-mêmes. Peut-être sera-t-il possible de tracer le lieu d’exécution dudit manuscrit, qui reste jusqu’à présent inconnu.
Commençons par la brève présentation du manuscrit toujours inédit1. Le manuscrit Gall. Quart. 146 est un livre de cuisine conservé dans la collection berlinoise à la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie. C’est un livre anonyme, donc nous ne connaissons ni l’auteur de ce recueil, ni ses propriétaires, ni les copistes de ce texte. Peut-être, s’agit-il des mêmes personnes. Ledit manuscrit porte le titre Recueil de recettes pour la cuisine et l’office. Toutes les informations sur ce livre qui suivent proviennent de la notice élaborée par Tylus (2010 : 221–224). Le livre en question se compose de 77 folios et possède les dimensions de 210 sur 165mm. Certes, il a été copié en France vu les filigranes identifiés au milieu du XVIIIe siècle et la seule langue utilisée – le français. Le manuscrit a été complété pendant au moins cent quinze ans. Les premières recettes viennent du milieu du XVIIIe siècle (vers 1742) et les dernières du milieu du XIXe siècle (vers 1857). Ce livre est aujourd’hui en assez bon état, mais il nous manque cinq feuillets. De plus, nous trouvons beaucoup de pages vierges ce qui paraît typique pour les livres de cuisine usuels, vivant dans telle ou
1 L’édition critique de ce texte est en train d’être préparé par l’auteur de cet article.
telle maison et complétés successivement. Les recettes sont copiées par trois mains qui réapparaissent dans le manuscrit çà-et-là et se complètent, pourtant les deux premières prévalent. Selon Tylus, la première main a appartenu à une maîtresse de maison ainsi que les autres – à des membres de la famille de cette première, peut-être à sa fille et sa petite-fille. Malheureusement, l’histoire de ce livre reste toujours inconnue. Pendant l’exécution de la reliure, le premier feuillet du premier cahier est devenu la garde collée initiale. Ainsi on a détruit probablement des informations sur les propriétaires, ou bien sur le lieu d’exécution exact. La seule histoire connue de ce manuscrit est bien postérieure. Il a appartenu à la collection de Georg Freund dont l’ex-libris se trouve à la garde collée initiale : Dr. Georg Freund, avec ses armes : écu héraldique divisé en deux compartiments (un lion dans l’un, et une fleur de lys dans l’autre). Georg August Freund, vivant entre 1836 et 1914, était un philologue qui possédait une riche collection de volumes dont 93 se référaient à la cuisine (Tylus, 2024 : 331). Qui plus est, au folio 1r de notre manuscrit on trouve la cote ancienne (Fr. 91), celle de la collection de Freund élaborée par la même main que dans les cas des autres manuscrits de la collection berlinoise relatifs à la cuisine. Il faut ajouter ici que tous ces livres proviennent de la collection de ce collectionneur allemand. Finalement, le recueil a été inscrit au registre des acquisitions de la Königliche Bibliothek de Berlin le 21 février 1916. L’histoire des livres de cuisine de la collection de Freund n’est pas commune. Ils appartenaient à cette collection et ont été acquis par la Königliche Bibliothek de Berlin en même temps. Auparavant, chaque livre a vécu une autre histoire qui toujours reste difficile à connaître (Tylus, 2009 : 44)2.
Pour préparer l’article sur des desserts, il faut aussi commencer par définir ce qu’on com- prend sous ce terme. Morphologiquement parlant, le mot est un déverbal créé sur le radical de l’indicatif présent du verbe desservir, et celui-ci se compose d’un préfixe des (qui avec des préfixes dé et dés expriment « la cessation d’un état ou d’une action, ou l’état, l’ac- tion inverses » (LAR) et du verbe servir signifiant « Assurer le service à table ; remplir de nourriture ou de boisson l’assiette, le verre de quelqu’un » (TLFi). Ainsi, on obtient la signification actuelle du mot dessert « Mets ou ensemble de mets que l’on sert à la fin d’un repas : fromage, pâtisserie, fruit, entremets sucré, etc. » (TLFi). Étymologiquement parlant, le verbe desservir au sens de « Débarrasser une table des restes du repas et de la vaisselle » (TLFi) apparaît dans la langue française au XIVe siècle dans le Ménagier de Paris et il est une conséquence logique de la cessation du service à table. Le mot dessert lui-même entre dans la langue française à la même époque, également grâce au Ménagier de Paris sous la forme desserte compris comme « dernier service du repas » (TLFi). Toutes ces définitions mettent en avant le moment du repas et nous indiquent clairement qu’il s’agit de sa fin. Pourtant, de nos jours, il existe encore un facteur qui caractérise ce mot d’une manière plus précise. Pour l’apercevoir, apportons la définition du dessert du Dictionnaire de la
2 Pour plus d’informations codicologiques cf. Moroz, 2024 : 313–315.
Gourmandise – DGour (2012 : 416) : « Préparation que l’on mange à la fin du repas et qui est constitué de mets sucrés – entremets et pâtisseries, principalement ». Ce qui importe aujourd’hui, ce qui distingue le mieux le dessert, c’est son goût sucré. Bien sûr, pour les Français le dessert comprend toujours également des fromages, mais dans d’autres pays d’Europe il s’agit d’un mets sucré. Historiquement parlant, on trouve le dessert en Grèce antique. C’est le dernier service d’un repas qui se compose des pâtisseries, de fruits frais ou de fruits secs (DGour, 2012 : 416). En France médiévale le repas se termine aussi par une sorte de dessert qui comprend : dragées, compotes, flans, crêpes, rissoles, fruits secs (DGour, 2012 : 418). Cependant, souvent il ne s’agit pas d’une vraie fin du repas, car les deux autres petits repas suivent le dessert : issue et boute-hors ; ceux-ci ne se composant que d’épices et de vins. En outre, on ne peut pas dire qu’à cette époque-là les plats sucrés ne soient consommé que pendant la fin du repas. Premièrement, dans la cuisine médiévale on rencontre souvent des préparations salées-sucrées lors du repas. Deuxièmement, on sert les fruits crus au début. La situation change au XVIe siècle où tous les fruits passent au service du dessert, sauf du melon (DGour, 2012 : 533). Selon Jean-Louis Flandrin, le passage du goût sucré à la fin du repas a lieu au XVIIIe siècle et se reconstitue à la fin du XIXe siècle par la dislocation des entremets salés en hors-d’œuvre froids (1999 : 27). Au XIXe siècle Grimod de La Reynière, célèbre fondateur de la gastronomie moderne, nous explique de quoi se compose le quatrième service à l’époque de l’exécution de notre manuscrit : « le dessert, et sous ce nom sont compris les fruits crus, les compotes, les biscuits, les macarons, les fromages, toutes les espèces de bonbons et de pièces de petit four qu’il est d’usage de faire paraître dans un repas, les confitures et les glaces » (1804 : 19).
Sacrifions aussi un peu de place pour parler des entremets. Ce mot, déjà apparu dans
notre article, est strictement lié à la notion du dessert. Nous avons vu que le terme entremets apparaît dans la définition du dessert comme une variation de ce dernier. Pourtant, l’histoire nous montre clairement que pendant un long temps les entremets étaient « indépendants ». Ce terme étymologiquement se composant d’une préposition entre et substantif mets pendant longtemps fonctionnait comme « Série de plats servis entre le rôti et le dessert » (TLFi) donc un service à part. Il comportait aussi des plats sucrés, mais pas seulement. Au Moyen Age, il s’agit de toutes sortes de plats servis après les rôtis, p. ex. : légumes, « plats de douceurs », gelées, bouillies, tourtes, darioles, pâtés, potages (DGour, 2012 : 468). De plus, lors d’un festin médiéval, l’entremets était une sorte d’interruption afin de divertir les convives – le temps de prestations de jongleurs, acrobates, musiciens et danseurs (DGour, 2012 : 468). Au cours des siècles, le mot a restreint son sens et aujourd’hui est connu comme « Plat sucré servi après le fromage et avant le dessert proprement dit » (TLFi). Pourtant, dans la terminologie de restauration, l’entremets comporte toujours le sens historique et signifie
« tous les apprêts de légumes » effectués par l’entremétier (DGour, 2012 : 468).
Dans le manuscrit Gall. Quart. 146, parmi 197 recettes, on trouve 97 recettes dans les chapitres d’entremets et de desserts. Ainsi, pour des raisons sémantiques nous appliquons
la logique du XXIe siècle et dans nos analyses entrent tous les noms de desserts et d’en- tremets qui sont sucrés. On en compte dix-huit :
Baignetts – il s’agit bien sûr du beignet. Le terme signifie généralement « Mets ou entremets composé de viandes, légumes, fruits, poissons, enrobés de pâte à frire et passés ensuite à la friture chaude. » (TLFi). Pourtant, dans notre manuscrit on a affaire plutôt à l’ « Entremets composé uniquement de pâte à chou ou à brioche, gonflée dans la friture chaude » (TLFi). De plus, dans ce dictionnaire on trouve la remarque que ce plat est appelé aussi beignet soufflé ou pet de nonne et celui-ci se trouve également parmi les desserts copiés dans le manuscrit. Le terme a été attesté pour la première fois en 1314 selon TLFi, mais le Dictionnaire de la gourmandise mentionne d’autres formes de ce terme qui fonctionnaient déjà au XIIe siècle – bueignets (DGour, 2012 :78). Beaucoup de variantes de ce mot coexistaient en français : bigne, bignets, beignet, bingue, bingne, begne, bui- gnet, bigner, bagnet, beuignetz (DGour, TLFi, GD). Le terme est dérivé de beigne, bigne
« bosse, enflure » par analogie de sa forme à l’aide du suffixe -et. La recette aux beignets est mentionnée juste une fois dans le manuscrit et elle se voit comme pauvre, faite de deux œufs seulement. La pâte à beignet est nommée dans le titre « Baignetts de pâte ou fantaisie » 29r. Cette spécialité est déjà connue dans le monde ancien chez les Grecs et les Romains et au Moyen Age sa consommation reste très élevée en France, sous plusieurs formes : beignets amers, beignets soufflés, rissoles, beignets caillés, aux riz, aux amandes, aux figues, aux pommes, et puis saupoudrés de sucre et arrosés de jus de citron, eau de fleur d’oranger, eau de rose. Au XVIIIe siècle, les beignets ne sont pas seulement connus parmi les gens riches. Au contraire, le peuple peut les acheter chez les divers marchands qui les vendent dans la rue. Pourtant leur qualité n’est pas très élevée (DGour, 2012 : 82). Biscotins – substantif masculin désignant « Petit biscuit dur, sec et cassant, que l’on fabrique beaucoup dans le Midi » (TLFi). Le mot est attesté en français en 1680 et c’est un emprunt à l’italien biscottino – dérivé de biscotto à l’aide du suffixe diminutif -ino. La recette pour ce biscuit figure déjà dans la livre de cuisine de Massialot dans Nouvelle Instruction pour les confitures, les liqueurs et les fruits de l’an 1692. On parfume souvent cette préparation de l’eau de fleur d’oranger ou bien on trouve des variations de ce biscuit faites de noisettes. Dans notre manuscrit on compte deux graphies biscotin et biscottines et trois recettes pour les préparer – deux classiques avec eau de fleur d’oranger et avec des noisettes, pourtant la troisième reste assez originale et comprend les biscotins avec
la marmelade d’abricots.
Biscuits – ce substantif masculin a été attesté pour la première fois dans la langue française en 1538, dans le sens de « pain cuit plusieurs fois, en forme de mince galette » (FEW, t. II : 1164), alors qu’en 1660, on trouve également le sens de « pâtisserie légère faite avec des œufs, de la farine et du sucre » (FEW, t. II : 1164). On note également d’autres graphies dans l’ancienne langue : bescuit, becuit, besquit, becuiz, becquit (GD, t. VIII : 318). Ce terme est composé à l’aide du préfixe bis- désignant « répété la 2e fois » et du participe passé cuit, du verbe cuire. Dans notre manuscrit on trouve six recettes pour biscuits préparés généralement avec des œufs, de la farine, du sucre et du citron. Pourtant l’auteur propose aussi les biscuits d’anis ou d’amandes – également très répandus. Dans chaque cas il s’agit du deuxième sens du mot. A l’époque de notre texte, cette spécialité
est très à la mode et elle s’est déjà généralisée parmi les classes moins fortunées et surtout parmi la bourgeoisie (DGour 2012, 114).
Blanc manger – substantif masculin désignant aujourd’hui « Entremets à base de gelée et de lait d’amandes » (TLFi). Le terme a été attesté pour la première fois dans entre 1275 et 1300 comme « aliment blanc, à base de lait, d’amandes et de blanc de volaille » (TLFi). Ainsi, comme nous voyons très bien, autrefois la viande était un élément indispensable dans ce plat et plus précisément – son suc. Le mot se compose de l’adjectif blanc, venu du germanique *blank « blanc » (FEW, t. XV : 138) et du verbe manger, venu du latin manducāre de mandūcus « personnage de comédie, caractérisé par sa gloutonnerie » qui est dérivé de manděre « mâcher », ensuite « dévorer, manger » (TLFi). Dans le manuscrit Gall. Quart. 146 nous trouvons deux recettes pour ce dessert. La première comprend la préparation classique faite de la poule, du sucre, de la cannelle, de l’écorce du citron et des amandes. Cet entremets fut un best-seller en toute Europe du XIIIe au XVe siècle et bien plus tard. Pourtant, la deuxième proposition de l’auteur ne ressemble pas à ce dessert blanc. Nous avons affaire à une sorte de gelée faite de bœuf, de veau, de poireau, des carottes et des amandes donc il s’agit plutôt de la variation de ce plat que l’on peut retrouver déjà chez La Varenne (DGour, 2012 : 127).
Brioche – substantif féminin comprenant « Pâtisserie à base de farine, d’œufs, de lait et de levain » (TLFi) n’est attestée qu’au XVe siècle. L’étymologie de ce mot est restée longtemps incertaine (les hypothèses sur la provenance du terme du fromage Brie, des habitants de Saint-Brieuc – les Briochins, de l’ancienne composition des mots bris et hocher etc.). Cependant, il semble que ce soit un dérivé d’un verbe brier – forme normande de broyer et du suffixe -oche (Bochnakowa, 2024 : 22). Le verbe brier est issu de l’ancien bas francique brekan « casser, briser » (TLFi) et le suffixe -oche comprend le résultat de cette action (DGour, 2012 : 160). On trouve deux recettes pour la brioche dans le ma- nuscrit. Les deux apparaissent comme simples et classiques avec un ajout d’eau de fleur d’orange – ce qui est typique aujourd’hui pour les brioches lyonnaises (DGour, 2012 : 164). Les titres de ces recettes sont accompagnés par les anthroponymes : « Brioche M. de De Champagné 26v, Brioche façon de Constance 36r ». Cette spécialité, connue sous une forme un peu différente déjà en Grèce ancienne, au XVIIIe siècle restait toujours accessible surtout aux gens assez riches (DGour, 2012 : 161).
Confitures – ce substantif féminin a été attesté pour la première fois à la fin du XIIIe siècle (TLFi). Il est dérivé, à l’aide du suffixe -ure, du participe passé confit, du verbe confire, issu du latin classique conficěre « faire entièrement, achever » (TLFi). Il faut rappeler ici, qu’au XVIIe siècle, la confiture ne concernait pas seulement les fruits. Le mot confiture désignait également chaque chose (entre autres : fruits, fleurs, racines, herbes) assaisonnée ou cuite en sucre, trempée dans du vinaigre, ou bien dans du sel. Le mot confiture possédait un sens bien plus large qu’aujourd’hui, et désignait chaque produit préparé avec du sucre ou avec du miel (Tylus, 2009 : 45). Même si le terme confiture a changé de signification, le verbe confire, duquel on avait dérivé le substantif, conserve le sens original : « Conserver (des aliments putrescibles) par des produits appropriés (miel, vinaigre, sel, sucre, graisse) » (PR : 503). Dans le manuscrit on a trois recettes pour les confitures : d’oranges, de verjus et de groseilles. La première peut nous fournir proba-
blement quelques informations sur le lieu de provenance du manuscrit. Dans la recette on lit au folio 42v : « Pour une livres d’oranges de Portugal, il faut une livres é demie de sucre ». Cet exemple nous montre que les oranges du Portugal étaient accessibles dans le lieu d’habitation de notre auteur. Pourtant, l’expression orange de Portugal signifiait aussi tout simplement « orange douce » au contraire de « orange amère » dans les années 1491–1878 (FEW, t. IX : 226). Il faut savoir que les oranges connues auparavant ce sont des oranges amères nommées bigarades. Ainsi, soit notre auteur utilise les fruits venant du Portugal soit il veut préciser qu’il faut choisir les oranges qui sont douces pour avoir une bonne confiture.
Creme – le terme a été attesté pour la première fois en 1190, sous la forme craime comme « crème du lait » (TLFi; FEW, t. II : 1271). Toutefois, dans le manuscrit, il ne s’agit pas de cette matière grasse qui se forme à la surface du lait. On a plutôt affaire au sens « entremets sucré fait avec du lait et des œufs » qui apparaît en français en 1802. Dans l’ancienne langue on note d’autres graphies du terme : cremme, chresme (GD, t. IX : 245). Pourtant dans le manuscrit on trouve trois graphies de ce mot : creme, créme, crême. Le substantif vient du bas latin crama « crème » d’origine gauloise (TLFi). L’auteur nous présente douze recettes différentes pour cette douceur : au café, au chocolat, à l’avoine, crème brûlé etc. Toutes ces préparations s’inscrivent parfaitement dans les tendances bourgeoises au XIXe et XXe siècles (DGour, 2012 : 381). Nous voyons clairement que l’auteur connaît les desserts qui viennent d’apparaître et s’intéresse à la mode culinaire. Echaudets – échaudé, substantif masculin pour « Pâtisserie légère faite de pâte échau- dée et passée au four » (TLFi) ou bien, plus précisément « petite pâtisserie légère faite de pâte échaudée, d’œufs, de beurre et de sel dont la forme a beaucoup varié » (FEW, t. III : 263). Le terme est un participe passé issu du verbe échauder qui vient du bas latin excaldare « échauder » et est attesté comme « petit gâteau » pour la première fois en 1260 (TLFi). Les échaudés du manuscrit sont cuits au four à la fin et on en compte juste une recette. Comme nous lisons dans le Dictionnaire de la gourmandise « L’échaudé est l’un des plus anciens ‘gâteau’ qui sont parvenus jusqu’à nous » (DGour, 2012 : 463). Au Moyen Age il constitue plutôt une sorte d’aliment peu cher qu’une douceur. Cependant, au XIXe siècle, cette pâtisserie entre souvent dans les menus de desserts dans les maisons
bourgeoises (DGour, 2012 :465).
Flan – terme désignant « tarte ou pâte molle, faite avec de la crème, de la farine et des œufs » (M) qui a été attesté pour la première fois comme culinaire, en 1180 (TLFi). On trouve aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue : flaan, flaor, flavon, flavan, flaon, flaoun, flon (GD, t. IX :625). Ce substantif masculin vient de l’ancien haut allemand flado
« gâteau, galette, crêpe » (TLFi). Mentionnons aussi que flado a été attesté en bas latin au VIe siècle, également dans le sens culinaire (TLFi). Dans le manuscrit on trouve une seule recette pour le flan aux patates et nous avons affaire plutôt à un sens métonymique du mot, c’est-à-dire d’une seule garniture préparée à ce type de tarte qu’on sert en entre- mets (DGour, 2012 : 497).
notamment pour les peaux servant à faire des gants, employé depuis le XVIe jusqu’au début du XXe siècle » (TLFi). Le terme vient du nom italien Frangipani – un seigneur romain qui a inventé ce parfum dont on a imprégné les gants au XVIIe siècle. En France, le terme a désigné aussi d’autres produits qui portaient cette odeur. Dans notre manuscrit l’auteur nous propose une recette pour la frangipane qui ne contient que des œufs, de la crème, des amandes et de la farine. Tout est parfumé à l’eau de fleur d’oranger. La frangipane dans le sens culinaire apparaît en français depuis le XVIIe siècle.
Gateau – ce substantif masculin a été attesté pour la première fois en 1140 (TLFi). On note aussi d’autres graphies dans l’ancienne langue : gastel, gasteau, watez, waitelz, wastieux, wastiaux, wasteaux (GD, t. IX : 688). Le terme vient, peut-être, de l’ancien bas francique *wastil, dont on peut voir l’origine en ancien saxon wist « nourriture », dérivé de *wahs « cire » (TLFi). Selon d’autres sources le mot vient de l’ancien français gastel
« aliment fait de pâte » (DGour, 2012 : 549). Il s’agit du sens « Préparation de pâte sucrée cuite au four, généralement dans un moule, et destinée à être consommée fraîche après avoir été éventuellement garnie d’une crème, d’un glaçage, etc. » (TLFi). Dans notre manuscrit on trouve sept recettes pour les différents gâteaux : d’anis, à la madeleine, suisse, de Savoye, de pommes de terre et au lait.
Gelée – le terme a été attesté au XIVe siècle comme culinaire. Le substantif vient du latin tardif gelata, qui est un participe passé féminin substantivé, dérivé du verbe gelāre
« geler » (TLFi). Dans le manuscrit l’auteur emploi le sens de « Jus de fruits cuits avec du sucre qui prend, en se refroidissant, la consistance de la gelée de viande » (TLFi) qui est attesté en français depuis 1605. On y trouve trois recettes pour la gelée : de coings, de groseilles et au citron. Comme nous lisons dans le Dictionnaire de la gourmandise :
« au siècle des Lumières on faisait une immense consommation de ‘gelée de fruits’ dans toute l’Europe » (DGour, 2012 : 563). Ainsi notre texte s’inscrit parfaitement dans la mode du temps.
Goffres – gaufres – ce substantif féminin a été attesté pour la première fois dans la langue française en 1185. On note également d’autres graphies dans l’ancienne langue : goffre, wouffre, walfre, waufre (GD, t. IX : 689). On suppose que le substantif vient de l’ancien bas francique *wafla, plutôt que du moyen néerlandais wafele, car le deuxième a été attesté tardivement, à la fin du XIIIe siècle. Probablement le mot francique a aussi désigné « gaufre » et « rayon de miel » (TLFi). Dans le manuscrit on trouve deux recettes pour les gaufres. Ce qui peut nous surprendre c’est l’ajout de l’eau de fleur d’oranger qui est, comme nous avons aperçu, très fréquent chez notre auteur. Généralement, on nomme ce dessert « les gaufres à l’italienne » au XIXe siècle (DGour, 2012 : 553). Les gaufres constituent la pâtisserie la plus ancienne. Connus certes dans le monde ancien, elles étaient très populaires au Moyen Age, pas seulement dans le nord-est de la France. Pourtant, comme on le voit bien, elles restent populaires au cours des siècles.
Manqué – substantif masculin pour donner une signification assez vague : « gâteau » (TLFi). Dans le FEW on lit une autre définition : « plat, gâteau que le cuisinier n’a pas réussi à faire bon » (t.VI : 142). Cet emploi vient de l’année 1867. Pourtant, Brécourt-Vil- lars nous apprend qu’il s’agit d’une abréviation de gâteau manqué qui a été utilisé dans le sens de raté et mentionné pour la première fois dans l’Almanach des gourmands en
1807, donc le terme se voit comme déjà connu au début du XIXe siècle. (2009, 259). La seule recette dans le manuscrit est très courte. L’auteur nous informe que ce gâteau est très similaire à la pâte à la madeleine, mais on y ajoute des amandes. Selon la légende, un pâtissier de Gênes n’a pas réussi à monter les œufs en neige pour une préparation et pour ne pas gaspiller la pâte, il a ajouté des amandes et du beurre. Ainsi il a obtenu le gâteau dit manqué.
Nouga – nougat, il nous manque une lettre à la fin. Ce substantif masculin est utilisé dans le sens de « Confiserie à base de miel, de caramel, d’amandes, de noix ou de noisettes grillées » (TLFi), pourtant, au cours de siècles, les recettes admettent aussi l’emploi du sucre et c’est aussi le cas de notre manuscrit. Le terme, attesté pour la première fois en français en 1595, obtient sa définition assez tard, en 1762 dans la quatrième édition du dictionnaire de l’Académie (AC, t. IV). C’est un emprunt au provençal nougat « confiserie faite de noix ou d’amandes et de miel » dérivé du provençal nougo « noix » venu du latin populaire *nuca issu par le changement de déclinaison du latin classique nux « noix » (TLFi). D’autres sources dérivent ce terme du grec nôgalon au sens « friandise » (DGour, 2012 :762). L’ancêtre de cette sorte de douceur est connu en France depuis le Moyen Age et reste une friandise traditionnelle et très populaire. Dans notre texte on trouve une seule recette pour cette spécialité. Même si, aujourd’hui on connaît plusieurs nougats spécifiques (de Tours, de Paris, nougat rose, etc.), aucun trait caractéristique n’est pas mentionné dans le manuscrit Gall. Quart. 146.
Pets de none – pet-de-nonne, synonyme de beignet. Ce substantif masculin commence à être utilisé depuis l’année 1835 (TLFi), mais apparaît plus tôt dans le dictionnaire de l’Académie française de 1718 sous l’entrée pet avec une définition suivant : « On appelle pets, Une sorte de baignets fort enflez. » (AF, t. II). C’est un composé de pet « Gaz intes- tinal qui sort de l’anus avec bruit » venu du latin peditum « pet, vent », du préposition de et du substantif nonne « Religieuse qui vit dans un couvent » issu du latin ecclésiastique nonna « religieuse » (TLFi). Il s’agit de « petit beignet en pâte à choux, rond et de 3 à 4 cm de diamètre, soufflé, léger et doré » (DGour, 2012 :929). Selon la légende cette douceur a été inventée par hasard par une nonne de l’abbaye de Marmoutier, qui avait jeté une petite boule de pâte dans la graisse bouillante (Brécourt-Villars, 2009 :313). Dans notre manuscrit on trouve une recette pour ce type de beignet composé de : beurre, eau, cas- sonade, eau de fleur d’oranger, farine et œufs. Le Dictionnaire de la gourmandise nous apprend que les pets de nonne étaient très à la mode au XVIIe et XVIIIe siècle. Puis, ils sont passés aux recettes de ménage et sont restés utilisés dans les cuisines familiales dans toute la France (DGour, 2012 : 931).
Pudding – substantif masculin pour désigner « Entremets à base de mie de pain, de farine, d’œufs, de moelle de bœuf et de raisins de Corinthe, souvent parfumé avec de l’eau-de-vie, que l’on sert traditionnellement à Noël en Grande-Bretagne » (TLFi). Pourtant, il faut être conscient qu’il existe plusieurs recettes pour cet apprêt qui varient les unes aux autres. Les ingrédients de base ce sont : amidon, corps gras, eau/lait, œufs, sucre, fruits, légumes ou viandes avec un ajout des parfums. Le terme est emprunté à l’anglais pudding utilisé au début dans le sens de « boudin consistant en un estomac ou un boyau empli de viande hachée accompagnée de différents ingrédients, bouilli et pouvant
se conserver un certain temps » (TLFi). Cet emprunt a été attesté pour la première fois en français en 1688. Le pudding a remporté un grand succès en France grâce à Grimod de La Reynière au début du XIXe siècle. Dans le manuscrit on trouve deux recettes pour le pudding dont la seconde comprend la préparation du célèbre plum-pudding qui a été introduit en France en 1815 et rendu populaire par Antonin Carême, puis devenu très à la mode lors du XIXe siècle (DGour, 2012 : 1009). Les deux puddings ne diffèrent pas assez de leurs recettes de base, pourtant, la première préparation est composée des vermicelles au lieu de mie de pain.
Prâlines – substantif féminin désignant « Bonbon fait d’une amande rissolée dans du sucre, lequel en refroidissant plusieurs fois, forme un enrobage de caramel durci et irré- gulier qui peut être parfumé ou coloré dans les préparations commerciales » (TLFi). Le mot a été attesté pour la première fois en français en 1662 et il vient du nom propre, de l’anthroponyme Plessis-Praslin – un maréchal dont le cuisinier a inventé cette douceur (TLFi). Comme on lit dans le Dictionnaire de la gourmandise : « bien que la praline soit historiquement indissociable d’une ville du Gâtinais, Montargis, on la trouve presque partout en France » (DGour, 2012 : 985). Ainsi, on ne peut pas indiquer le lieu de pro- venance de notre manuscrit à partir ce terme. Dans le texte, l’auteur présente une seule recette pour la praline grise qui contient comme noyau des amandes. La couleur de la praline dépend de l’état d’amande – les grises sont fabriquées à partir d’amandes non mondées et les blanches – d’amandes mondées.
Pour conclure, l’analyse des noms de desserts nous montre que dans le manuscrit Gall. Quart. 146 nous avons affaire à des termes connus et bien établis dans la langue française. On y trouve des noms de dessert provenant du Moyen Age ainsi que les dessert eux-mêmes (8 termes). Le terme crème vient de l’époque médiévale, pourtant dans le manuscrit il est utilisé au deuxième sens qui reste moderne. En outre, neuf termes sont attestés à l’époque moderne, donc on peut dire que la moitié des recettes mentionnées présentent des plats à la mode. Deux termes – pet de nonne et manqué viennent du XIXe siècle, ce qui suggère que l’auteur connaît des vraies nouveautés dans le domaine de la pâtisserie et s’y intéresse. Les préparations telles que crème, échaudé, gelée nous montrent que l’auteur de notre manuscrit vient probablement d’une maison bourgeoise plutôt qu’aristocratique. En outre, l’étymologie de deux mots de dessert prend ses racines dans des anthroponymes (praline, frangipane) ce qu’on peut rencontrer également dans d’autres termes culinaires au cours des siècles. De plus, les emprunts que l’on aperçoit (pudding, biscotin), nous indiquent que l’auteur du recueil connaît aussi des préparations internationales venues des pays voisins et devenues célèbres en France. Malheureusement, il reste toujours difficile d’indiquer le lieu de composition du manuscrit, soit il s’agit du nord soit du sud de la France, pourtant on trouve quelques traces dans les recettes et dans les ingrédients laissent penser qu’il s’agirait peut-être du Midi. Pour résoudre cette question, cela vaut la peine d’analyser ainsi d’autres termes culinaires dudit manuscrit.
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Dictionnaires
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DGour – Perrier-Robert A. (2012), Dictionnaire de la gourmandise. Pâtisseries, friandises et autres douceurs, Paris.
FEW – Wartburg W. von. (1922–1967), Französisches etymologisches Wörterbuch: eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Basel.
GD – Godefroy F. (1891–1902), Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, t. 9, Paris.
LAR – Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9-/21722 [consulté le : 18.11.2022].
M Dictionnaire de Moyen Français, https://www.cnrtl.fr/definition/dmf/ [consulté le : 28.03.2024].
PR – Nouveau Petit Robert de la langue française (2007), Paris.
TLFi – Trésor de la langue française informatisé, https://www.cnrtl.fr/definition [consulté le : 28.03.2024].
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